La Quatrième Dimension

Renaissance - Scheherazade and other stories

Rédigé par Dominique Genin


 

La Quatrième Dimension vous raconte des histoires

Un long article en cours de parution retrace l'histoire de Renaissance. Progrésiste se doit de suivre une ligne maîtresse et doit faire montre d'unité. Ainsi s'exprima notre vénéré et vénérable rédacteur en chef, Denis Petit (le mal nommé car il est notre Grand Timonier, notre Grand Mamamouchi). Un thème nous suivons, la Quatrième Dimension sur ce groupe sera pareillement, tel fut le commandement du Chef Petit (Chefke en belche). Oui mon Petit, dis-je-donc avec respect et obéissance. Et d'ailleurs ajoutatil cela te sera facile, Renaissance c'est très classisant.

Je m'attendais également à trouver dans la musique de Renaissance, outre les reprises de thèmes classiques, une technique d'écriture utilisant les bonnes vieilles techniques classiques bien sagement sans trop les bousculer et ce, contrairement aux groupes qui furent déjà traités dans ces colonnes. C'est donc sans mon costume d'explorateur, mais plutôt en touriste, que je pénétrai l'univers de Renaissance. Et contrairement à mon idée première cette pénétration ne fut pas si facile mais elle me procura beaucoup de plaisir en me faisant découvrir nombre de choses inattendues. Notre chef avait donc vu juste, c'est normal puisque c'est le chef. Après avoir disserté sur le romantisme, l'avant-gardisme, le lyrisme, le ténèbrisme faisons place à la musique médiévale.

I. La période des reprises

On aurait pu dire que tout jeune déjà, le petit Renaissance écrivait de la musique classique dans la marge de ses cahiers. Dès le premier album la formation Hawken-McCarthy-Relf-Cennamo fait déjà de très nombreuses références à la musique classique: sur chaque composition, excepté "Bullet", ils reprennent quelques notes de thèmes relativement connus.. Cette technique va aller en s'accentuant et devenir une de leurs marques de fabrique. Sur une des photos qui apparaissent sur la pochette de A "Song for all Seasons", Terry Sullivan porte un T-shirt à l'inscription "Prokofiev Rules". Très Prog-attitude vous ne trouvez pas ? (j'en profite pour rappeler à nos chers lecteurs qu'il nous reste de magnifiques T-shirts Prog-résiste pour pas cher... après cette page de publicité revenons en à nos Cultures qui fly high).

Sur "Prologue", le morceau titulaire reprend des extraits des Etudes Révolutionnaire de Chopin et des Inventions de Bach; la partie instrumentale de "Kiev", est inspirée du troisième mouvement de la Symphonie N°8 de Dimitri Shostakovitch et la conclusion de ce break instrumental reprend le début du Prélude en do# mineur pour piano opus 3 de Sergei Rachmaninoff. Sur "Ashes are Burning", c'est la merveilleuse Cathédrale Engloutie de Debussy que nous percevons dans "At the Harbour" (eux aussi avait un chef qui tenait à l'unité thématique: il tenait à engloutir une cathédrale dans un port). Le Prélude en do# mineur pour piano de Rachmaninoff refait son apparition dans "Can You Understand" avec un extrait de la Troika de la très belle suite du Lieutenant Kije de Prokofiev. Sur "Turn of the Cards" ce sont Albinoni et Giazotto que nous retrouvons avec leur Adagio en Sol mineur dans "Cold is lonely" et les Litanies de Jehan Alain dans "Running Hard".

Cette période où les reprises de thèmes classiques sont monnaie courante se termine avec "Turn of the Cards". Renaissance va, avec l'album suivant, passer au niveau supérieur (selon votre serviteur) en ce qui concerne la création et la technique utilisée.

II. Shéhérazade and Other Stories.

Cet album, sorti en 1975, est un des albums les plus réussis au point de vue de la fusion de la musique classique, du Rock et du subtil mélange d'ambiances.

IIa Histoires courtes

L'album débute par "Trip to the Fair" qui en quelques sortes annonce la couleur: longue intro au piano qui passe du classique au rock pour finalement créer une ambiance folk après avoir fait un petit détour jazzy, et cela le plus naturellement du monde. Ce n'est pas du patchwork c'est du tissage très fin qui associe habilement différents styles.

La composition suivante, "The Vultures Fly High", démontre une autre des capacités de Renaissance, la technique d'arrangement de John Tout qui dispose d'une très solide formation classique. Cette mélodie gentiment pop est transfigurée par la basse de John Camp et le piano de John Tout. Ecoutez dans le passage instrumental la séquence d'accords La mineur-Fa#dim7 (1:57) qui fait si bien monter la tension avant de se résoudre sur le Sol majeur en 2:06. C'est pas de la pop ça, Monsieur.

Vient ensuite, peut-être la ligne mélodie la plus tendre, la plus riche, la plus belle que Michael Dunford ait composée pour mettre en valeur la voix unique de Annie Haslam, sur laquelle (la mélodie) je ne peux que m'étendre quelques instants. Arrêt non facultatif donc pour un peu de théorie.

Cette pièce qui pourrait paraître anodine fait montre d'une technique remarquable au niveau de sa construction, pas très alambiquée, mais efficace quant à la création du climat qui associe la douceur, la mélancolie et une génère une subtile montée en tension ...

Qui dit mélancolie dit tonalité mineure (ici La mineur). Le mode mineur naturel manque cependant de tension, et cela parce que le 7éme degré de cette gamme (ici le "sol") se trouve 1 ton en dessous du "la". Pas de problème, il suffit de hausser le ton, on vire le "sol", on engage un "sol#" et on combine ainsi l'effet sombre du mode mineur à la tension du mode majeur. La première section (0:0-0:41) est construite sur ce mode. La note centrale de la mélodie est la quinte de "la", "mi" qui souligne faiblement la tonalité de La mineur.

La seconde section (0:41-1:08) doit nous apporter un plus de lumière, mais en douceur et donc évoluer sur le plan harmonique vers le mode majeur le plus proche de La mineur: Do majeur. Nous ne sommes cependant pas arrivés à destination et la tension présente dans ce mode majeur est trop forte, seule sa couleur nous importe. Ici le 7ème degré (si) se trouve à 1/2 ton de la tonique (do), il devrait garder ses distances, on le bémolise donc. En introduisant le "sib" dans la gamme de Do majeur on crée le mode de Do myxolidien. Ici la mélodie est centrée sur la tierce, on souligne mieux la tonalité que précédemment.

La troisième section doit nous amener à destination, à un climax mélodique dans la tonalité de base de la composition: "La". Le but de la première section était de souligner la douceur teintée d'amertume. Le mode mineur harmonique nous fournissait la couleur désirée, mais si nous voulons être plus mélodique, il coince un peu. Et pour cause puisqu'il présente un intervalle de 1 1/2 ton entre le 6éme et le 7éme degré (fa-sol#), intervalle moins mélodique pour nos oreilles occidentales par son côté arabisant. Pas de problème, on fait comme Charles Martel en 732 et Charles Pasqua en France: on arrête les Arabes. Nous, un dièse bien placé nous suffit et le "fa" se transforme en "fa#". Chacun chez soi et nos gitanes seront bien gardées (et bien roulées)!

Nous voilà ainsi en La mineur mélodique. Ecoutez la différence, le "you" en 1:18 chanté sur un fa#, c'est bon comme là-bas, dis ! Ici la mélodie est centrée sur la tonique, "la". La tonalité est maintenant pleinement exposée. Terminé ? Mais non bien sûr, le climax n'est pas encore pleinement atteint. Cette troisième section qui se terminait sur un accord de La mineur 9éme (sur "gold en 1:38) sera reprise après les 2 premières sections et se terminera la seconde fois sur un La Majeur (sur "gold" en 3:15). Terminé ? Meuh non, avant de reprendre la dernière phrase de cette section, nous avons droit à un break instrumental qui nous fait voyager pendant 1:30 minute dans d'autres tonalités. Progression superbe et exemplaire s'il en est. Nous étions en La Maj (dominante de Ré), nous partons donc d'abord en Ré Maj (3:23-3:32) qui est la tonalité dominante de Sol, ce qui nous conduit donc vers Sol Maj (3:32-3:48). La traversée d'un petit pont (petit patapon) en Si mineur (3:48-3:37) nous amène dans la tonalité de Mi majeur (3:57-4:15) qui est la tonalité dominante de La, ce qui nous ramène dans la tonalité de La Maj (4:15-4:29) avant de terminer sur une progression plus rapide où les accords de dominantes se succèdent toutes les 4 secondes. On arrive finalement en Mi maj et on repart pour un tour.

IIb Song of Shéhérazade

L'album culmine avec la formidable suite Shéhérazade inspirée de la pièce pour orchestre de Rimsky-Korsakov, inspirée mais ni copiée ni même reprise en partie.

En ce temps là, vivait un sultan (appelé The Sultan) qui aimait jouer aux dames dans un pays où la femme n'est pas vraiment l'égale de l'homme; et parfois même pas légale du tout (vive la femme au foyer comme disait Landru). L'une d'elle le trompa, puis lui implora le pardon en lui rappelant qu'une terre brûlée donne parfois plus de blé qu'un meilleur avril. Mais rien n'y fit: il la raccourcit d'une tête. Téfal, son Grand Vizir qui avait de l'ambition, lui conseilla de ne plus s'attacher à ces créatures superficielles, de les mettre à poêle et de s'en détacher aussitôt. The Sultan décida donc qu'il consommerait une nouvelle vierge chaque nuit (denrée encore assez courante à cette époque) et qu'elle devrait périr le matin venu (ce qui fit dire à Montaigne "il n'y va pas piano, le salaud" et "qui sait pisser loin ménage ses chaussures", mais cette dernière citation n'a rien à voir ici). The Sultan avait le choix des femmes, il leur laissait le choix des larmes. Une banale histoire de pauvre princesse qui passionne les foules (la mort d'un millier de petits noirs nous laisse de marbre blanc, par contre la mort de la princesse des haricots verts à la menthe nous fait entrer dans un deuil noir). Mais ce funeste scénario pris fin le jour où la nouvelle princesse, Shéhérazade, raconta des histoires à son sultan d'époux (tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours), histoires pas lepitantes et pas piquées des vers, puisque The Sultan sursit à l'exécution jusqu'au lendemain et ce pendant 1001 nuits. Après il y avait prescription, ils se mariurent, vèquérent zeureux et irent beaucoup de petit sultans.

La musique par contre est moins banale. Du point de vue harmonique cette pièce est intéressante parce qu'elle a accomodé le style médiéval à la sauce prog. A cette époque reculée (le moyen âge, pas les seventies), la musique était uniquement mélodique. La polyphonie, l'harmonie donc, mit quatre siècles avant d'émerger à la renaissance avec l'Ars Nova. Au IXe siècle le Musica Enchiriadis définit LA règle d'écriture musicale: les voix simultanées doivent toujours être parallèles, c'est à dire semblables et en consonance parfaite, formant entre elles des intervalles d'octave, de quinte ou de quarte. Plus tard l'Ars Nova bannira cette technique et interdira purement et simplement l'utilisation des quintes parallèles. L'église quant à elle réprouvera ces délires modernistes jugés inadéquats aux fonctions sacrées. Bien tiens.

Cette composition est également truffée (au vrai sens du terme) d'accord de sus4 et de sus2. Ces accords qui ne sont composés que de quintes/quartes, la tierce/sixte faisant défaut, perdent leur caractère majeur ou mineur et sonnent dès lors très moyenâgeux.

Fanfare: 0-0:38

Le style est annoncé sans tambour mais avec trompettes parallèles.

Cette fanfare débute dans la tonalité de Mib mineur et se termine en Mi mineur (0:34), pour passer en Mi majeur au début du Betrayal. La fanfare sert donc d'introduction à la tonalité, elle introduit probablement également Shéhérazade auprès du Sultan.

The Betrayal: 0:38-2:43

Every music tells a story, que ce soit le chant des oiseaux dans les champs de la symphonie pastorale de Beethoven ou le vacarme de la guerre d'Hiltler et des bottines de Staline dans la cinquième de Schostakovitch. C'est en fait une technique de composition qui sert de support à l'imagination du créateur.

Les interprétations de cette pièce divergent (et dix c'est beaucoup). L'encyclopédie du Prog selon Bérurier nous donne deux interprétations de ce morceau en partant du fait qu'à l'origine ce morceau aurait eu un titre quelque peu différent: soit "Thé au Jasmin ou The Betrayal" soit "Les Betrayals étaient fermés de l'intérieur". Personnellement je pencherais pour une autre interprétation, une sorte d'ouverture qui nous résume l'histoire de Shéhérazade, avant d'en exposer certains détails par la suite. Rappelons que Betrayal dans la langue de Sadam Hussein, lorsqu'il parle anglais, signifie trahison mais également révélation. A vous de choisir, les paris sont tout verts (et les petits pois sont rouges).

Tout commence par une nuit d'amour (0:38-0:47) 9 sec seulement, c'est donc une image à moins que The Sultan ne soit un éjaculateur précoce (ce qui pourrait expliquer la trahison de son ex). Avec douceur (tempo 67), l'arrivée de la tonalité de Mi majeur est préparée via sa dominante (Si). Soudain, Mi majeur, tempo 125 (0:47-0:53) Shéhérazade est confrontée à son destin: on va la lui couper! Ecoutez sa frayeur. La tonalité de Si est suggérée mais avec des accords instables (génialissime suite Si maj, Si dim, Do# dim, Si maj) qui engendre le sentiment de panique.

Elle veut fuir, je la vois courir (en plus de l'oreille j'ai également l'oeil musical). Ceci est illustré 1:00 à 1:12 par une suite d'accord sus 2 (Sol# sus2, La sus2, Do# sus2, Mi sus2). Elle doit trouver une solution, elle réfléchit, une idée va tomber comme le suggère la descente d'accord (tonique et quinte) par demi-ton de 1:12 à 1:20. Après ces vingt secondes sans tierce, on passe en 1:20 de la crainte à l'excitation.

Une solution émerge (1:20-1:35) dans sa tête de princesse qu'elle tient à garder sur ces épaules que je devine nues et sexy (mon oeil musical est parfois lubrique). Elle va raconter des histoires à son époux, une séquence d'accords Ré-9 mineur- Réb Maj se succède avant de conclure sur Sol Maj (1:32): elle a trouvé. Mais c'est bien sûr se dit-elle de 1:35 à 1:40 sur une séquence de Si sus4-Do sus4 suivie d'une descente en Sib mineur mélodique. Elle récapitule, les dernières 20 sec sont répétées sur un tempo un peu plus rapide.

Le sultan se demande que faire. De 2:00 à 2:11 une séquence est répétée, montée sur accords ouverts (sans tierce) Fa-Sol-Sib-Reb pas du tout classique, mais qui retranscrit bien l'incertitude. Finalement il décide à reporter l'exécution. Noël ! Oh joie! Les trompettes refont leur apparition (2:14) sur un bel accord majeur (Sib). Les voix des cors sont distantes d'une octave, la dureté des quintes disparaît. L'harmonie redevient fonctionnelle, nous avons droit aux cadences conventionnelles (Sib-Mib). Tout rentre dans l'ordre. Shérérazade peut se reposer et dormir en paix (2:30-2:43) sur une belle finale en Sib lydien (mode majeur plus brillant dû à la quarte élevée d'un demi ton).

The Sultan: 2:43-7:29

Le morceau précédent était principalement centré sur la tonalité de Sib. La dernière note "sib" se transforme en "la#" pour nous faire entrer subtilement dans la tonalité de Si Majeur, ou plutôt dans son relatif mineur Sol# mineur dans l'intro instrumentale (2:43-3:18). La partie chantée est en Ré# phrygien, mode construit sur les notes de la gamme de Si Majeur. Par contre les choeurs en 4:12 et 5:09 sont en Sol# mineur, tout comme le formidable final (5:49) "Shéhérazade". Tout se tient. Avec un Si, Tout est possible. Formidable arrangeur ce John Tout!

Notez également comment ce thème, à été introduit, tout d'abord dans l'intro instrumentale, puis dans la mélodie, pour finalement émerger pleinement ici, avant de réapparaître plus tard.

Love Theme: 7:29-10:10

Cette mélodie merveilleusement tendre qui sait exprimer toute une palette de sentiments est tout d'abord introduite au piano et puis reprise par l'orchestre. Cette partie de piano est presque du new age avant la lettre, mais avec l'émotion en plus. Ce morceau débute dans de la tonalité de Sib majeur (tonalité dominante de cette suite symphonique de 20 min), puis via un petit passage en Sol Maj, débouche sur le mode de Do mineur phrygien avec la belle cadence Do min-Réb maj- Fa min-Sib min-Do min.

The Young Prince and Princess 10:10-12:38

Cette mélodie est construite dans la tradition de Renaissance, un peu comme Ocean Gypsy. Elle est en Sib mineur excepté un passage (11:34-12:20) harmonisé en Sib Maj-Sol Maj (I maj-VI Maj : une des marques de fabrique de Genesis).

Finale

Après les "Festival Preparation", "Fugue for the Sultan" et "Festival, qu'il m'est impossible n'analyser ici en détail, cette suite symphonique se termine comme il se doit sur une finale qui reprend un thème majeur, celui de Shéhérazade (ben tiens) tiré de "The Sultan". Il est repris en 22:50, mais en 23:21 il est transposé de sol# en Mib (tonalité de la première partie de "Fanfare") et la boucle est bouclée !

L'inspiration moyenâgeuse, c'est vraiment bien. J'en remettrais bien une couche, un petit madrigal de la renaissance peut-être ... la fuite au prochain lavabo ....