RENAISSANCE

Avant-Propos

Dans la série des reformations conflictuelles, le rock progressif a déjà eu son lot de cas spectaculaires - PINK FLOYD et YES pour ne parler que des plus connus -; la parution simultanée des nouveaux albums d'Annie Haslam's RENAISSANCE et d'un nouveau RENAISSANCE (mené par le détenteur des droits du nom, Michael Dunford) vient-elle rejoindre cette série noire ?

Pas vraiment, et pour plusieurs raisons.

La première est l'apparente absence d'animosité entre les deux parties, comme en témoigne notre entretien avec Michael Dunford. Voilà qui est inhabituel !

La seconde est la faible légitimité de l'un comme l'autre des projets quant au port du nom de RENAISSANCE. Je ne souhaite évidemment pas rouvrir le débat entre partisans du "RENAISSANCE originel" mené par Keith Relf et Jim McCarty et de la formation ayant enfanté Scheherazade & Other Stories entre autres perles progressives. Notre article du n°6 vous a montré que la transition entre les deux n'avait pas été aussi brutale que les crédits des albums nous le faisaient croire.

Non, je constaterai simplement quelques faits. Le premier est que, sur chacun de ces CD, n'est présente que l'une des figures historiques du groupe. Le second, qui relativisera les froids arguments légaux, est qu'Annie Haslam, arrivée dans le groupe quelques mois à peine après Dunford, fut présente à ses côtés de 1971 et 87 et, contrairement à lui, est présente sur tous les albums. Enfin, il s'agira d'être réaliste : la chanteuse d'un groupe ne symbolise-t-elle pas plus celui-ci, aux yeux du public, que le compositeur de sa musique ?

Ce dernier argument joue en fait tellement en la faveur d'Annie Haslam que l'égalité des chances au départ est tout sauf garantie. Il faut dire que le chant est plus important dans RENAISSANCE que dans la plupart des groupes de rock progressif, et ce d'autant plus qu'Annie Haslam était, de l'avis unanime, la meilleure chanteuse du genre.

Malgré tout, le talent de compositeur de Michael Dunford et la possibilité, faible mais réelle, qu'il ait trouvé une remplaçante exceptionnelle à son ancienne collègue, ne lui otent pas toutes ses chances de l'emporter.

Vous avez dit progressif ?

Il me faut cependant, à ce stade, préciser que l'enjeu de cet article demeure, dans l'absolu, assez anecdotique d'un point de vue progressif. L'évolution qu'a connu, à partir de la fin des années 70, la musique de RENAISSANCE, à l'occasion d'albums aujourd'hui oubliés (à juste titre, par ailleurs), élimine en effet dès le départ toute chance d'un retour de ses anciens membres à leur ambition musicale passée.

Nous resterons donc relativement indulgents, faute de quoi cet article n'aurait pas de raison d'être. Mais, en lecteurs intelligents, vous aurez également compris que nous n'aurions jamais consacré un nombre de pages aussi important à cet article si, à l'arrivée, ces deux albums étaient d'un bout à l'autre dénués d'intérêt. C'est loin d'être le cas, vous le verrez.

Ce n'était pourtant pas joué d'avance ! Le dernier album, éponyme, d'Annie Haslam, en 1989, était un gâchis de talent complet. Quant à Dunford, le Time Line de 1983 était un testament bien peu glorieux. On pouvait aussi bien penser que la spirale de la médiocrité continuerait à faire son oeuvre, qu'estimer qu'il était difficile de faire pire.

Eh bien, précisons-le d'emblée, le pire a été évité. Mais différemment selon les cas...

La Renaissance d'Annie Haslam

Tout est dit dans le titre : je ne ferai donc pas durer plus longtemps le suspense. Oui, Blessing In Disguise est, à mon avis, le meilleur disque auquel Annie Haslam ait prêté sa voix depuis... Novella de RENAISSANCE, rien que ça !

Les déclarations d'Annie dans lesquelles elle annonçait un retour, sur cet album, à l'esprit de RENAISSANCE, dans une forme plus "moderne", et qui avaient de quoi laisser circonspects, prennent toute leur signification à son écoute.

Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette conception de "modernité"; malgré tout, c'est avec une grande intelligence qu'Annie Haslam et son co-producteur Tony Visconti ont réussi à concilier objectifs commerciaux et artistiques.

Mieux, les meilleures chansons de ce recueil rivalisent, d'un point de vue mélodique, avec certains des plus beaux moments de RENAISSANCE ! Il faut dire que les morceaux les plus courts n'y étaient pas forcément les moins bons. Qu'on se rappelle "Sounds Of The Sea", "At The Harbour", "Cold Is Being", "I Think Of You", ou "The Captive Heart" : des chansons toutes simples, où la voix d'Annie n'étaient soutenue que par un piano, une guitare acoustique ou un orgue... Et pourtant, qui nierait qu'il s'agit de classiques du groupe, au même titre que les épopées qui ont fait sa réputation ?

Sans dire que Blessing In Disguise ne contient que de petites perles, il est malgré tout incontestable que les grosses fautes de goût y sont rares. Un exemple : pas de refrains aguicheurs... avant le tout dernier titre !

Mais l'argument qui doit convaincre les amateurs de RENAISSANCE de se procurer ce CD, c'est évidemment LA voix ! Annie Haslam chante mieux que jamais : à la fois tendre et pleine de passion (il faut dire qu'elle est l'auteur des textes !), sa voix enveloppe délicatement des lignes mélodiques réellement splendides (encore bravo à Tony Visconti, principal compositeur, secondé par les claviéristes Jordan Rudess et Rave Tesar - à noter que la guitare acoustique, symbole de RENAISSANCE est totalement absente). Et puis, au détour d'un pont musical, elle part dans ces vocalises dont elle a le secret, et dont on ne la croyait plus capable. Extraordinaire !

Cette foi en la musique, bien réelle comme en témoigne sa vie récente (son courageux combat contre le cancer), habite la plupart des morceaux, et en premier lieu celui qui symbolise cette RENAISSANCE, au sens propre : "A New Life". Mélodie magique, ccompagnement dépouillé, un piano, quelques nappes de synthétiseurs, et une voix. Ça suffit...

Mon autre favori est d'ailleurs l'orchestral "The Sweetest Kiss", adaptation sublime de la Pavane de Gabriel Fauré, sur un texte de Betty Thatcher. Pour l'anecodte, ce morceau, figurant sur l'album orchestral Still Life (1984) sous le titre "The Day You Strayed", a été réécrit pour une publicité pour une voiture japonaise (!). Ah, si la musique des spots du pub était toujours de cette qualité, je ne raterai pas la moindre de ces fameuses "nuits des publivores" !

Les douze autres titres oscillent entre le correct et le très bon. Signalons deux reprises, l'une de Essra Mohawk ("Can't Turn The Night Off"), l'autre d'Andrew Gold ("In Another Life"); et, surprise, un titre signé Dunford-Thatcher ! Il s'agit de "Love Lies, Love Dies", tiré du répertoire de RENAISSANCE dans les années 80, et figurant également sur l'album du groupe de Michael Dunford... La version est assez différente, ni meilleure ni moins bonne. Quant aux deux titres écrits ou co-écrits par Jordan Rudess, assez fades, ils témoignent d'un relatif manque de maturité en la matière de la part du claviériste surdoué.

Les compositions Haslam-Visconti sont donc, et de loin, les plus réussies, d'une grande pureté mélodique, et arrangées avec imagination. Le morceau titre, qui ouvre l'album, est interprété a-capella par Haslam et Visconti (également chanteur, donc !), chacun tenant plusieurs parties. Le résultat est somptueux, et chaque écoute le rend plus attachant. Quant à "A Whisper From Marseilles", dédié à un ami français disparu il y a deux ans, la tristesse y est palpable, tandis que les synthétiseurs imitant la bruit de la mer restitue l'ambiance d'une ballade nostalgique sur une plage déserte... (rien à voir avec Marseille, vraiment !).

Une dernière fois, je souhaite congratuler Tony Visconti : excellent multi-instrumentiste et chanteur, il a su par ailleurs donner à cet album une grande cohérence, malgré la multiplicité des ambiances (parfois plus énergiques que sur les morceaux décrits plus haut, comme sur "What He Seeks", très moyen-oriental), sans jamais sombrer dans le mauvais goût, ce qui n'aurait pas été surprenant...

Au total, entre le soulagement légitime et la réelle qualité de nombre de compositions, je ne peux que recommander chaudement ce CD aux amateurs d'Annie Haslam.

Attention cependant à ne pas donner à mes louanges plus de portée qu'ils ne doivent en avoir : Annie Haslam a certes su éviter tous les pièges dans lesquels une chanteuse désireuse de séduire un large public peut tomber; mais la dénomination de son groupe ne doit pas vous laisser penser que vous retrouverez toute la magie de RENAISSANCE. La dimension orchestrale est très atténuée, et les passages instrumentaux absents. Alors, amateurs purs et durs de rock progressif, réflechissez-y quand même à deux fois !

Michael Dunford : Fiesta ?

Ce calembour (relisez bien), dont la légèreté vous aura certainement frappés, illustre pourtant bien mon sentiment à l'écoute de The Other Woman. Ceci est évidemment un peu tiré par les cheveux, mais la 'fête' que l'on pouvait se faire d'entendre les nouvelles compositions du guitariste, évidemment ornées de la poésie si touchante de sa muse de toujours, Betty Thatcher, n'est finalement pas, de toute évidence, destinée à nous, amateurs de musiques progressives. Résultat : on reste un peu sur un point d'interrogation... (ouf !).

En effet, c'est plus dans la lignée d'Azure D'Or ou Camera, Camera que se situe cet album. Michael Dunford ne semble pas éprouver une grande nostalgie pour ses longues fresques classisantes, et opte donc invariablement (ou presque, vous le verrez) pour le format "chanson".

Vous me direz qu'Annie Haslam, sur son nouvel album, est avare d'envolées instrumentales. Mais c'est assez logique dans son cas.

Ça l'est évidemment moins pour celui auquel on associe les longues épopées orchestrales de 10 ou 20 minutes que produisait RENAISSANCE dans les années 70.

Notre étonnement devient plus relatif lorsque l'on constate, dans les crédits puis à l'écoute, la discrétion de Michael DUNFORD du point de vue de l'exécution. Se cantonnant à nouveau à la guitare acoustique et ne jouant de surcroît pas sur tous les titres, c'est donc plus comme compositeur et "marionnettiste" que comme musicien qu'il officie sur The Other Woman, un peu à la manière d'un David Rohl avec son MANDALABAND.

Conséquence malheureuse : on n'a guère l'impression d'écouter du RENAISSANCE. On pourrait certes penser que c'est l'absence d'Annie Haslam qui empêche de faire le rapprochement. Il est vrai que la petite nouvelle, Stephanie Arlington, possède une voix bien différente qui, malgré le passé musical de la belle (cf. interview), sonne assez "pop", à la manière d'une Tracy Hitchings.

Pourtant, l'écoute du dernier morceau, "Somewhere West Of Here", convainc que Dunford est bel et bien capable, à la seule force de son style typique à la guitare acoustique, de sonner comme son ancien groupe. Cette composition est la seule de l'album à posséder une véritable dimension progressive, visitant au long de ses six minutes des atmosphères et motifs mélodiques très contrastés. Si bien qu'à l'occasion du "fade-out" final, on est pour le moins troublé... et frustré.

Les huit autres titres (laissons de côté la reprise de "Northern Lights", fidèle à l'originale et assez plaisante) sont donc d'une ambition assez restreinte. La production est d'assez bon goût, de même que la prestation des musiciens qui n'auraient sans doute guère de difficultés à jouer les morceaux passés du groupe. A côté des inévitables titres calibrés "FM" - "Don't Talk", très commercial, et dans une moindre mesure "Déjà Vu" et "Quicksilver", assez rock - on trouve donc de belles ballades ("Lock In On Love" ou "May You Be Blessed") ou des chansons à l'atmosphère feutrée, vaguement "jazzy" ("Love Lies, Love Dies" ou "The Other Woman").

Il faut bien se rendre à l'évidence : on s'est trompé sur Michael Dunford. Il n'est pas, et l'entretien qui suit le confirme, un partisan acharné du métissage pop-rock/musique classique. La preuve en est qu'Annie Haslam, confrontée à des impératifs commerciaux similaires, a produit un album plus proche du RENAISSANCE "classique".

Cette chronique se terminera donc sur une note de déception. Malgré tout, il y a des raisons d'espérer : "Somewhere West Of Here", bien sûr, mais aussi le désir exprimé par Dunford de développer la composante acoustique de sa musique. Il y a dans ce groupe, sans parler du duo d'auteurs, un potentiel indéniable; un concert serait une bonne occasion pour celui-ci de s'exprimer sans entrave, et de faire plus explicitement le lien avec son prestigieux passé...

Aymeric Leroy