Renaissance, l'histoire d'un groupe

 

L'histoire de Renaissance est une histoire étrange. Elle commence en Angleterre à la fin des années 60. Pour les cinq fondateurs de ce groupe, pour la plupart des musiciens expérimentés, c'est un projet novateur, une façon de tourner le dos à leur passé et d'essayer autre chose, de sortir des sentiers battus. Ils s'y lancent avec fougue et enthousiasme. Mais à peine ont-ils produit un album qu'un terrible découragement s'empare d'eux et qu'ils ne trouvent plus la force d'aller de l'avant. L'histoire aurait pu s'arrêter là, Renaissance aurait pu être un de ces nombreux groupes sitôt lancés, sitôt disparus et bientôt oubliés. Mais les fondateurs continuent à croire en leur projet et cherchent, fait exceptionnel dans l'histoire du rock, d'autres personnes pour le mener à bien, à leur place. Pendant deux ans les musiciens se succèdent, jusqu'à ce qu'enfin la fine équipe soit réunie. Une nouvelle équipe de cinq dont aucun ne faisait partie de celle de départ mais qui en assume parfaitement l'héritage, en réalise le rêve et va même bien au-delà. Cette équipe reste remarquablement stable et unie jusqu'à la fin des années 70, produisant une série d'albums somptueux, dans un style qui n'appartient qu'à elle. Mais les années 80 voient l'équipe se désunir. Il n'en reste que trois, puis deux, qui finalement déclarent forfait avant la fin de la décennie. Et un long, très long silence s'ensuit. Mais, à l'aube du nouveau millénaire, Renaissance fait son retour tant sur scène que dans les studios...

 

Un grand vent de liberté

Tout commence avec les Yardbirds, un groupe légendaire du swinging London des années 60. Ce groupe a vu passer en son sein des guitar heroes portant des noms aussi prestigieux que ceux d'Eric Clapton, Jeff Beck ou Jimmy Page. Il s'éteint à la fin de la décennie. Jimmy Page lance alors les New Yardbirds, bientôt rebaptisés Led Zeppelin. Mais ce ne sont pas les seuls enfants des Yardbirds - et pas les seuls à explorer de nouvelles voies, en cette époque où un grand vent de liberté souffle sur le monde.

En 1968, les Yardbirds n'existent plus. Deux de ses membres fondateurs, Jim McCarty, batteur, et Keith Relf, guitariste et chanteur, s'associent dans l'éphémère duo Together. Ensuite les rejoignent le pianiste John Hawken, issu du groupe de rhythm and blues les Nashville Teens, le bassiste Louis Cennamo, qui a joué dans une série de groupes (entre autres il a accompagné Chuck Berry) et Jane Relf, sœur de Keith, qui fait ses débuts comme chanteuse. Le groupe Renaissance est né. Nous sommes en 1969. Renaissance est donc constitué, si l'on excepte Jane Relf, de musiciens qui ont de l'expérience et dont certains ont déjà connu la gloire. Mais ces musiciens ont surtout une grande envie de changement. Jim McCarty témoigne : <<Durant nos dernières années avec les Yardbirds, Keith et moi avons eu quelque chose comme un réveil spirituel. Nous nous sommes intéressés au paranormal, aux phénomènes psychiques, aux OVNI, au bouddhisme, entre autres. Plus de musique douce, aussi : Simon and Garfunkel, Grieg, John Cage, Jim Webb, Joni Mitchell, etc... Cela semblait à l'opposé du heavy blues que nous jouions depuis plusieurs années et c'était rafraîchissant. Nous avions écrit plusieurs chansons avant la dissolution du groupe et toutes étaient tout à fait folky. L'idée de départ de Together était d'enregistrer ces chansons avec Paul Samwell-Smith [un autre membre fondateur des Yardbirds]. Mais ensuite il devint nécessaire de créer un groupe pour produire un son plus intéressant.>> [Aymeric Leroy, 1994].

 

Rock, musique classique, folk et jazz

La formation Cennamo, Hawken, McCarty, Relf et Relf enregistre son premier album, "Renaissance" en 1969. La musique du groupe se caractérise par la rencontre d'éléments de musique classique avec une solide base de rock. Il s'y ajoute quelques éléments de jazz et de folk. Et, à l'heure où de nombreux groupes s'essaient aux synthétiseurs, Renaissance a l'originalité d'utiliser un piano, un vrai. Cela restera, au fil des années, une des marques de fabrique du groupe. Dans les premières années, c'est ce piano et lui seul qui apporte la touche classique, les autres instruments étant joués de manière résolument rock. Ce sont le plus souvent Keith Relf et Jim McCarty qui signent les morceaux. Souvent, des éléments empruntés à des compositeurs classiques y sont incorporés. Il y a par exemple dans "Island" des emprunts à la "Sonate au clair de lune" de Beethoven. Les éléments classiques et les éléments rock ne fusionnent pas, ils coexistent. Mais une secrète alchimie fait que cette coexistence est harmonieuse.

Louis Cennamo décrit l'ambiance qui règne lors de la réalisation de ce premier opus : <<Renaissance était un groupe très égalitaire. Chacun avait son mot à dire et faisait profiter le groupe de ses compétences. C'était une période heureuse et très créative. Nous étions tous très contents de créer quelque chose de diffèrent. Ce n'était pas basé sur quoi que ce fut que nous ayons entendu auparavant. Ce qui se passait, c'est que Keith et Jim arrivaient avec des paroles et quelques séquences d'accords, puis nous travaillions beaucoup ensemble, nous mélangions cela aux idées classisantes de John. Les idées de Keith et Jim étaient parfois très embryonnaires. Quelques-unes étaient très structurées, mais en général elles restaient très vagues. Nous les enrichissions alors grâce à notre savoir-faire technique.>> [Aymeric Leroy, 1994].

 

Trop jeune pour avoir peur

C'est en 1969 qu'intervient pour la première fois la parolière Betty Thatcher. Elle écrit une première chanson, "Love is All", qui sera enregistrée sur le second album. Elle réécrit aussi les quatre derniers vers d'"Innocence" et c'est cette version modifiée qui est sur le premier album, même si Betty Thatcher ne figure pas dans les crédits. Betty Thatcher raconte : <<Eh bien je n'étais pas du tout écrivain, j'étais l'amie de Jane Relf, la sœur de Keith, qui venait de former le Renaissance originel. Il était à la recherche de paroles de chansons. Il a lu quelques lettres que j'avais écrites à sa sœur [...]. Il m'a appelée au téléphone, je ne savais pas qui il était, pour moi il était seulement le frère de Jane. Il m'a demandé "Pouvez-vous écrire des paroles de chansons ?" et comme j'étais jeune, trop jeune pour avoir peur, j'ai dit "Bien sûr". Et je l'ai fait. C'est comme ça que ça a commencé.>> [Ed Sciaky, 1993].

 

L'ami de John Hawken

A cette même époque arrive dans l'entourage du groupe un nommé Michael (ou Mike) Dunford, ex-guitariste des Nashville Teens. Il jouera un rôle primordial dans l'histoire de Renaissance. Il n'y entre pas en tant que guitariste, du moins pas tout de suite, il se consacre à la composition. Mike Dunford témoigne : <<J'ai rejoint le groupe en 1969 parce que je connaissais John Hawken, le pianiste fondateur. J'avais joué avec lui longtemps, longtemps auparavant, dans un groupe nommé les Nashville Teens. Je venais juste de commencer à composer et il m'aidait à faire quelques démos en studio. Il m'a dit alors qu'il venait de s'associer avec Keith Relf et Jim McCarty pour former un groupe nommé Renaissance. Je suis allé les voir et j'ai vraiment aimé ce qu'ils faisaient.>> [Alison Steele, 1977].

 

La fin des illusions

Bien que Renaissance soit un groupe tout neuf, les musiciens commencent à montrer des signes de lassitude. Louis Cennamo témoigne : <<A l'intérieur du groupe, des problèmes de communication ont commencé à apparaître. C'était devenu un boulot dur, tout le plaisir avait disparu.>> [Aymeric Leroy, 1994]. Jim McCarty ne supporte plus la cadence infernale qui les fait enchaîner sans répit albums et tournées. C'était vrai du temps des Yardbirds et ça continue avec Renaissance. En outre, Jim McCarty souffre d'une phobie particulièrement handicapante pour quelqu'un qui fait partie d'un groupe perpétuellement en tournée. Mike Dunford témoigne : <<Jim McCarty avait une peur maladive de prendre l'avion et il est arrivé plus d'une fois, alors qu'ils devaient s'envoler pour l'Europe, qu'il devienne complètement malade à l'aéroport. Ils ont dû annuler la tournée.>> [Alison Steele, 1977].

Cependant les cinq retournent en studio, en 1970, en vue d'un second album. Mais ils ne l'achèveront pas eux-mêmes. Jim McCarty et Keith Relf décident de ne plus jouer dans le groupe. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils abandonnent Renaissance. Ils ont bien l'intention, à ce moment, de rester les maîtres d'œuvre du groupe, de continuer à en composer la musique et à superviser les recrutements de nouveaux musiciens - il y en aura beaucoup. Peu de temps après cette semi-retraite de Jim McCarty et de Keith Relf, Louis Cennamo s'en va, définitivement. Il en reste donc deux, Jane Relf et John Hawken. Présent dans l'ombre depuis un bout de temps, Mike Dunford fait alors son entrée en tant que guitariste. L'équipe est complétée par le chanteur Terry Crowe (qui, comme Dunford et Hawken, a fait partie des Nashville Teens), le batteur Terry Slade et le bassiste Neil Korner. Cette formation donne une série de concerts en Europe. Elle enregistre aussi la plage "Mr Pine", signée Mike Dunford, qui complète, enfin, le deuxième album. Il ne sera publié que l'année suivante, en 1971, et portera comme titre "Illusion".

 

Tout en finesse

Ce n'est pas la fin des bouleversements. Jane Relf et John Hawken eux-mêmes quittent le groupe. Ils sont remplacés par le pianiste John Tout et la chanteuse Binky Cullom.

Pianiste brillant, John Tout a, comme John Hawken, suivi une formation classique et son jeu délicat convient à merveille au groupe qu'il vient de rejoindre et dont il deviendra, au fil des ans, un des piliers.

La nouvelle équipe fait des tournées mais ne laisse aucune trace discographique. Par contre elle se produit dans une émission de trois quarts d'heure pour la télévision allemande. Nous sommes à la fin de l'année 1970 et Renaissance, né l'année précédente, a complètement renouvelé son personnel. Mais, rappelons-le, tout ceci s'est fait sous le contrôle des fondateurs Keith Relf et Jim McCarty.

 

Renaissance trouve sa voix

Et les choses n'en restent pas là. Fin 1970, Binky Cullom s'en va. Arrive alors celle qui sera LA voix de Renaissance : Annie Haslam. Une voix hors du commun, étendue sur cinq octaves, tout à la fois profonde, claire, puissante, posée, douce et sensible.

Annie Haslam se souvient de ses débuts : <<Jusqu'en 1968 je ne me suis pas rendu compte que je pouvais chanter. Mais vers 1968 un de mes boyfriends a pris l'habitude de me pousser à chanter dans les soirées, parce que lui s'était rendu compte que je pouvais le faire, il m'avait entendue une fois. Lorsque j'avais bu quelques verres de cidre il me poussait toujours à chanter. Il a décidé ensuite que ça pourrait être une bonne idée pour moi de participer à des compétitions. J'étais terrifiée. Mais j'ai toujours gagné dans ces compétitions et j'ai alors compris que j'avais peut-être quelque chose. Mais j'étais fort timide, que vous le croyiez ou pas. [...] Je suis allée pendant neuf mois chez une cantatrice [Sybil Knight], pour apprendre le chant. Puis j'ai trouvé une place au Showboat, dans le Strand. C'est un cabaret, un club de théâtre, je crois qu'en fait il n'existe plus. J'étais là depuis six mois quand le guitariste de mon groupe m'a dit "J'ai trouvé cette annonce dans le Melody Maker et je crois que tu serais parfaite pour ça". Et j'ai téléphoné pour ce job "Groupe de rock internationalement connu cherche chanteuse". Je suis allée à une audition et j'ai eu le job, le jour de l'an 1971.>> [Fred Migliore, 1992].

Le groupe est donc constitué, en 1971, de Dunford, Tout, Slade, Crowe, Haslam et Korner. Cette équipe tourne abondamment en Europe, mais ne laisse, elle non plus, aucune trace discographique.

 

Prologue d'une ère nouvelle

Un peu plus tard Miles Copeland (le frère de Stuart) devient le manager du groupe et rassemble encore une nouvelle équipe en ne gardant de l'ancienne que John Tout et Annie Haslam. C'est en 1972 que sort le troisième album, "Prologue". Le groupe est alors constitué de Rob Hendry (guitare électrique), John Tout (piano), Jon Camp (basse), Terence Sullivan (batterie) et Annie Haslam (chant). A ces cinq musiciens il faut ajouter trois personnages qui œuvrent en coulisse. Il y a Jim McCarty qui est toujours là, alors que son compère Keith Relf s'est définitivement éloigné. Il y a aussi Mike Dunford, qui a abandonné son rôle de guitariste pour se consacrer, comme Jim McCarty, à la composition. Enfin il y a Betty Thatcher, la parolière, qui prend une place de plus en plus importante, bien que ses contacts avec le groupe se fassent surtout par la poste, depuis les Cornouailles où elle réside.

"Prologue" est un album charnière dans la carrière de Renaissance. On peut le considérer comme le dernier de l'ère McCarty, on peut le considérer aussi comme le premier d'une ère nouvelle. Il se rattache à l'ère McCarty par le style, par son coté rock. Par la composition de l'équipe, il ouvre un ère nouvelle car il réunit pour la première fois les six personnalités qui feront l'histoire de Renaissance jusqu'à la fin des années 70 : Dunford, Haslam, Camp, Tout, Sullivan et Thatcher.

Le rock est toujours très présent sur "Prologue", appuyé ici par la guitare électrique de Rob Hendry. Les références classiques sont là aussi, surtout présentes dans le jeu de piano de John Tout. Ainsi "Kiev", signé McCarty/ Thatcher, contient des allusions à Chostakovitch et à Rachmaninov. Les morceaux composés par Mike Dunford, telle la plage titulaire, qui, elle, contient des citations de Chopin, sont d'un style fort proche, et l'album possède une belle unité dans le ton. Le morceau "Rajah Khan" cependant est un cas unique car Renaissance y développe, pour la première mais aussi pour la dernière fois, un style psychédélique.

"Prologue" est aussi remarquable en ce qu'il est le premier album avec Annie Haslam. Elle y dévoile plusieurs facettes de son talent. Sur la plage titulaire elle montre sa puissance, sur "Bound for Infinity" sa sensibilité. Sur "Rajah Khan" elle s'ingénie à reproduire les sons des différents instruments. Sur "Kiev", chanté par Jon Camp, elle fait merveille dans le rôle de simple choriste.

 

A la même école que Bill Bruford

"Prologue" voit aussi l'arrivée Terence Sullivan. Il explique comment il a été choisi : <<Quand j'ai franchi la porte pour une audition, pour la place de batteur de Renaissance, je savais que leur musique était unique. Avec la basse dominante de Jon, la voix merveilleuse d'Annie, et ce piano... Quand je me suis mis à la fin de la file d'attente, ils auditionnaient des batteurs depuis trois jours et je crois que je devais être le dernier. J'ai observé comment faisaient les autres candidats : ils semblaient tous être dans une perspective purement rock. Heureusement, à cette période de ma carrière, j'avais joué avec un des tout premiers groupes de la scène progressive, qui n'en était qu'à ses débuts. [...] Je comprenais donc d'où Renaissance venait. J'avais étudié la batterie et les percussions avec Frank King, [...] qui à peu près à la même époque avait été le professeur de Bill Bruford. Sans doute Frank a-t-il été ma plus grande influence.>> [Dave Owen, 1997].

 

De ses propres ailes

Le quatrième album, "Ashes Are Burning" sort en 1973. La page McCarty est définitivement tournée et la nouvelle équipe, qu'il a mise en place, vole désormais de ses propres ailes. Rob Hendry n'est plus là non plus et Michael Dunford, tout en continuant à composer, reprend le rôle de guitariste, qu'il avait déjà tenu en 1970 et 1971.

John Tout commente : <<... Rob Hendry est parti, presque juste avant l'enregistrement d'"Ashes Are Burning", et nous étions dans l'embarras, sans guitariste. Nous avons demandé à Michael, qui continuait à composer des chansons, de venir jouer de la guitare acoustique sur les morceaux. C'est seulement alors que nous nous sommes rendu compte que nous n'avions pas besoin d'une guitare électrique et que les choses sonnaient beaucoup, beaucoup mieux avec seulement de la guitare acoustique. Ce moment où Michael est revenu a été un tournant pour nous cinq [...] et nous avons produit un bel album, dont nous étions contents. Et je crois que c'est cet album qui vraiment nous a ouvert la voie.>> [Alison Steele, 1977].

A partir d'"Ashes Are Burning", le son de Renaissance est complètement modifié. D'une part parce que désormais Mike Dunford ne joue plus que de la guitare acoustique. D'autre part parce que, pour la première fois, le groupe se fait accompagner d'un orchestre symphonique. La plage "Can You Understand?" est construite d'une façon représentative du nouveau style : intro au piano, bientôt rejoint par la basse, la batterie et la guitare, puis par tout l'orchestre, le tout sur un rythme soutenu. Puis les instruments se calment et Annie Haslam chante, très doucement, accompagnée à la guitare. Plus loin le rythme du chant s'accélère. Puis il s'arrête et l'orchestre reprend en crescendo. Le chant revient, avec un support instrumental plus riche, puis s'arrête de nouveau et le thème rythmé du début est repris jusqu'au final. "Can You Understand?" est un de ces "epics", ces pièces longuement développées, qui feront l'image de marque de Renaissance. John Tout commente : <<Avant "Ashes Are Burning" [l'album] nous nous préoccupions surtout de "prendre le pli", vous voyez. Mais quand nous sommes entrés en studio pour enregistrer "Ashes Are Burning", il y a eu une étincelle. "Can You Understand?", je pense, est la première pièce que Michael ait écrite qui fût vraiment orientée vers la musique classique. Et vraiment nous avons pu mordre à pleines dents dans ce titre et sur "Ashes Are Burning" et tout à coup nous avons trouvé la bonne direction.>> [Alison Steele, 1977].

 

L'émule de Chris Squire

Entre la guitare acoustique, le piano, la chanteuse de formation classique et l'orchestre symphonique, la basse de Jon Camp est quasiment le seul instrument électrique. Et Jon Camp, avec son jeu très mélodique, donne à son instrument une présence très forte. La basse joue chez Renaissance un rôle particulier, un rôle semblable à celui que tient la guitare électrique dans la plupart des groupes.

Jon Camp confie volontiers que le bassiste qui l'a le plus influencé est Chris Squire. <<Lorsque je venais juste de me marier, pendant notre lune de miel, croyez-le ou pas, nous sommes arrivés, tout à fait par hasard dans un pub où Yes jouait. J'ai vu Chris jouer et j'ai pensé "Wow!". [...] J'ai commencé comme guitariste et c'est sans doute de là que vient mon style mélodique. [...] Un fait qui est peu connu est que Renaissance a tourné avec Return To Forever pendant presque un mois et que nous nous partagions la tête d'affiche chaque soir. J'ai passé pas mal de temps avec Stanley Clarke et il peut m'en remontrer à plus d'un titre mais un jour que nous étions en avion il m'a dit "Peut-être suis-je plus rapide que toi mais je ne pourrai jamais être aussi mélodique que tu l'es". J'ai trouvé que c'était vraiment chouette de sa part et nous avons passé de très bons moments ensemble.>> [Dave Owen, 1997].

 

Encore

La plage titulaire "Ashes Are Burning" est un des morceaux d'anthologie du groupe, la pièce qui clôturera bon nombre des ses concerts au fil des ans, y compris lorsque Renaissance fera son grand retour sur scène en mars 2001. C'est pourtant une pièce atypique. L'orchestre n'y intervient pas. Il y a deux parties chantées avec entre les deux un solo de basse de Jon Camp puis un solo de John Tout qui joue, exceptionnellement, de l'orgue Hammond. La seconde partie chantée commence d'une manière à la fois douce et tendue pour libérer toute son énergie sur les dernières paroles. Le final est joué - fait exceptionnel - à la guitare électrique, tenue par l'invité Andy Powell, de Wishbone Ash. En concert, "Ashes Are Burning", qui à l'origine dure une dizaine de minutes, est porté à presque une demi-heure et tous y montrent des prouesses instrumentales, tandis qu'Annie Haslam y ajoute des vocalises impressionnantes de puissance dans le registre le plus aigu.

 

Hommage

Tous les titres de l'album sont signés Dunford/ Thatcher, sauf "On the Frontier" qui est signé McCarty/ Thatcher. Mais il s'agit d'une reprise. En cette année 1973, Jim McCarty a fondé un groupe, Shoot, qui a enregistré son unique album qui s'appelle, justement, "On the Frontier". Renaissance en reprend la plage titulaire, rendant ainsi hommage à son père fondateur.

 

L'envers des cartes

"Ashes Are Burning" est un album très "Peace and Love". La chanson "Carpet of the Sun" sonne comme un hymne au soleil et à la joie de vivre. Sur la pochette originale, les membres du groupe arborent cheveux longs, sourires et chemises colorées...

L'album suivant "Turn of the Cards", qui sort en 1974, est au contraire un album sombre, comme l'annonce clairement la pochette. Les cartes de tarot qui y apparaissent sont dues à Joe Petagno, illustrateur spécialisé dans le métal et le fantastique et créateur, entre autres, du logo de Motorhead. "Mother Russia" trouve sa source dans "Une journée d'Ivan Denissovitch", d'Alexandre Soljenitsyne. "The Black Flame", la plus sombre de toutes les chansons de l'album, inspirée à Betty Thatcher par la guerre du Vietnam, a pour thème le mal qui est en chaque être humain... Ces sujets trouvent leur source dans l'actualité la plus brûlante puisque c'est en février 1974 qu'Alexandre Soljenitsyne se fait expulser d'URSS et que cette année-là la guerre du Vietnam est encore à un an de sa conclusion, la prise de Saigon en avril 1975. Mais ces événements ne sont pas explicitement évoqués dans les chansons, ils ne sont que des points de départ d'une inspiration qui finalement aboutit à des textes poétiques et intemporels.

Musicalement, "Turn of the Cards" confirme en la renforçant l'orientation prise avec "Ashes Are Burning". Il contient un des chefs d'œuvre du groupe, "Mother Russia". On est bien loin désormais du style Relf-McCarty même si les ingrédients de base restent les mêmes : le rock et la musique classique. Alors que du temps de Relf et de McCarty ces éléments coexistaient simplement, au contraire dans "Mother Russia" ils sont intimement liés, ils ne sont plus distincts, ils ont donné naissance à un genre nouveau, qui est propre à Renaissance. Le son est devenu riche, énorme. Loin de se contenter de fournir un fond sonore, l'orchestre voit ses ressources habilement mises en valeur, ses instruments apportant leurs interventions en solo aux moments opportuns.

 

New York, New York

A cette époque, Renaissance commence à devenir un phénomène : c'est le groupe dont on parle, que l'on veut entendre, que l'on veut voir en concert. C'est du moins le cas sur la côte Est des Etats-Unis, autour de New-York et de Philadelphie, principalement dans les milieux étudiants. "Turn of the Cards" passe 21 semaines dans les charts américains où il atteint la 94e position. Mais nul n'est prophète en son pays et l'Angleterre ne suit pas.

Annie Haslam déclare : <<J'aime bien les gens ici [aux Etats-Unis]. Ils sont très ouverts et quand vous avez une audience et qu'ils vous apprécient, ils vous le montrent. Et c'est ce que j'aime, vous voyez. C'est si beau d'avoir une audience comme ça [NDLR : Dis, Annie, tu ne veux pas venir voir en Belgique comment ça se passe ?]. Tandis qu'en Angleterre c'est vraiment si différent. [...] A Londres il y a tant de concerts, c'est très dur de jouer là-bas parce qu'il semble qu'ils vont juste s'asseoir comme pour dire "Allez, montrez-nous ce que vous savez faire". C'est la sensation que vous avez, vous ne vous sentez pas à l'aise, c'est très difficile.>> [Alison Steele, 1974].

Le succès sur la côte Est des Etats-Unis est tel qu'en 1975 Renaissance remplit trois soirs de suite le Carnegie Hall de New York, où il se produit en compagnie du New York Philarmonic. L'album "Live at Carnegie Hall" en témoigne. Lors de ces concerts le groupe interprète, outre des extraits des albums "Prologue", "Ashes Are Burning" et "Turn of the Cards", deux morceaux inédits : la chanson extraordinairement romantique qu'est "Ocean Gypsy" et aussi le plus long morceau jamais composé par le groupe, "Song of Scheherazade" qui dure plus de 25 minutes. Le public, qui ne connaissait pas cette pièce, lui fait pourtant un véritable triomphe.

 

She told him tales of sultans and talismans and rings

Trois semaines plus tard sort l'album "Scheherazade and Other Stories" qui reprend ces deux titres ainsi que deux autres : "Trip to the Fair" et "Vultures Fligh High". Pour la première fois, Jon Camp et John Tout participent aux compositions, même si Mike Dunford reste le principal compositeur. A partir de cet album, les citations directes de compositeurs classiques tendent à disparaître. Peut-être y en a-t-il encore dans l'intro de "Trip to the Fair", mais c'est bien une des dernières fois. Il faut d'ailleurs dissiper un malentendu. Il a été dit que "Song of Scheherazade" était une adaptation du "Scheherazade" de Rimsky-Korsakov, c'est même écrit dans le livret de certaines éditions de l'album. C'est pourtant complètement faux, "Song of Scheherazade" est une composition entièrement originale.

Le morceau "Song of Scheherazade" est d'ailleurs une autre des pièces maîtresses de Renaissance. Le groupe y exploite parfaitement, une fois de plus, les possibilités de l'orchestre. Un chœur y apparaît aussi, qui seconde magnifiquement Annie Haslam. La plus grande partie du morceau est instrumentale et il y a trois parties chantées. Alors que d'ordinaire les textes de Betty Thatcher sont assez ésotériques, celui-ci est limpide. Il est basé sur "Les Contes des 1001 Nuits". La première partie chantée, "The Sultan" raconte comment le Sultan, se rendant compte que sa femme a été infidèle, décide de passer chaque nuit avec une jeune fille vierge, qu'il sacrifie au matin et comment un jour est arrivée Scheherazade qui, en lui racontant des histoires passionnantes nuit après nuit, parvint à échapper au sacrifice. La deuxième, "The Young Prince and Princess as Told by Scheherazade" est une des histoires racontées par la jeune fille. La troisième, "The Festival", décrit les festivités du jour où Scheherazade devient l'épouse d'un Sultan qui a définitivement renoncé à ses funestes desseins.

 

Plus de couleur

L'album suivant "Novella" sort en 1977. Le style est désormais bien rodé et cet album n'apporte pas d'innovation majeure. Il n'en est pas moins excellent et certains le considèrent comme le meilleur du groupe. On note l'intro de "Can You Hear Me?" et ses distorsions qui font penser à celles du "Close to the Edge" de Yes. Un autre morceau remarquable est "The Sisters", avec sa guitare espagnole et l'incroyable maîtrise vocale d'Annie Haslam. John Tout, qui en est le coauteur, y utilise un synthétiseur, chose assez rare à ce moment de l'histoire du groupe (même si on en a déjà entendu avant, par exemple sur "Ocean Gypsy") : <<J'étais vraiment contre les synthétiseurs, je voulais jouer uniquement du piano. Mais on m'a dit d'essayer d'être un peu plus aventureux et une fois que j'ai eu attrapé le truc, je me suis mis à vraiment aimer ça. Avec un synthétiseur, on peut ajouter plus de couleur. "The Sisters" est le titre particulier qui m'a permis de franchir le pas, parce que c'est la première fois que j'aie jamais essayé d'orchestrer quelque chose par moi-même et je pense que ça a très bien donné. C'était excitant parce que c'était pour moi comme un défi et que ça a vraiment bien fonctionné.>> [Dave Owen, 1998].

"Novella", tout comme "Scheherazade and Other Stories" avant lui d'ailleurs, entre dans le top 50 américain. Mais petit à petit, Renaissance commence à être également reconnu dans son propre pays, l'Angleterre.

 

L'orchestre fait homme

Cette année-là, ils se produisent au Royal Albert Hall de Londres, accompagnés par le Royal Philharmonic Orchestra, comme en témoigne un double album live. Mais Renaissance n'utilise pas toujours un orchestre symphonique en concert, c'est même plutôt l'exception. La plupart du temps ils sont seulement cinq sur scène, comme en témoignent les albums live "BBC Sessions" et "Day of the Dreamer". Pour remplacer l'orchestre, c'est John Tout qui fait l'essentiel, à l'aide de synthétiseurs, même si, au départ, il ne les aime pas trop. John Tout : <<Nous avions fait l'acquisition d'un synthétiseur, le Yamaha CS80 et un plus petit synthétiseur monophonique appelé le Pro-Solist qui avait quelques cuivres, flûtes et bois qui, pour l'époque, étaient assez authentiques. Nous avions aussi un synthétiseur d'instruments à cordes. Donc je jouais du piano, du synthétiseur de cordes, du Pro-Solist et du Yamaha CS80. Il nous est arrivé aussi de louer un Mellotron, pour les voix, pour le chœur. J'avais les partitions et je les suivais aussi fidèlement que je pouvais. Au lieu de me contenter de suivre les accords, j'essayais de suivre les arrangements orchestraux. J'ai fait de mon mieux pour reconstituer tout ce qui était important. Je ne pouvais pas tout faire passer, bien sûr, mais je choisissais ce qui était essentiel et je faisais de mon mieux pour rendre l'atmosphère de l'orchestre.>> [Dave Owen, 1998].

 

Les quatre saisons

L'album "A Song For All Seasons" sort en 1978. C'est un album dont la production est particulièrement soignée. Jon Camp témoigne : <<Nous avions, avant d'entrer dans le studio, une idée très précise du son que nous voulions obtenir. Ce fut un grand album et il nous a coûté une fortune mais nous sentions à cette époque que le groupe devait s'affirmer. Nous nous étions déjà fait un nom auparavant mais "A Song For All Seasons" a été, selon moi, un album vraiment spécial.>> [Dave Owen, 1997]. Contrairement aux albums précédents, celui-ci utilise les services d'un producteur extérieur et ce producteur est David Hentschell, bien connu pour ses travaux avec Genesis. L'orchestre est toujours là, très présent. Les synthétiseurs sont de plus en plus utilisés. La voix d'Annie Haslam est enregistrée plusieurs fois, de manière à ce que, sur le disque, elle chante en harmonie avec elle-même. Et la guitare électrique fait discrètement son retour, jouée tantôt par Jon Camp, tantôt par Mike Dunford.

Les "epics", les morceaux longuement développés, restent une des marques de fabrique de Renaissance, et l'album "A Song For All Seasons" s'ouvre sur l'un d'entre eux, la suite "Opening Out"/ "Day of the Dreamer" et se clôture par un autre, la plage titulaire.

Mais il y a aussi une série de chansons plus courtes, plus pop, dont "Northern Lights", une chanson très rythmée, très efficace, qui, à la surprise du groupe, entre dans le top 10 des singles en Grande-Bretagne. Renaissance passe même à trois reprises dans "Top of the Pops". Dans la foulée, l'album entre dans le top 50 britannique. Si le succès de "Northern Lights" est largement mérité, il marque pourtant un virage dans l'histoire du groupe, le point à partir duquel Renaissance sera déchiré entre la tentation de produire des hits et celle de rester fidèle à lui-même...

 

Le chant du cygne

En 1979 sort "Azure d'Or", produit, comme "A Song For All Seasons" par David Hentschell. Le son en est d'ailleurs fort proche. Mais ici il n'y plus d'orchestre. En conséquence, les synthétiseurs sont omniprésents. La tendance à faire des chansons plus pop se précise. "Azure d'Or" n'en reste pas moins un bon album et il contient quelques perles. "Kalynda" est l'une d'entre elles, avec le chant une fois de plus superbe d'Annie Haslam et les très mélodieux solos de guitare électrique de Jon Camp.

 

Tout va mal

Lors d'un concert en 1980, John Tout fait une série d'erreurs aux claviers et quitte la scène, laissant les quatre autres terminer sans lui. Suite à cela il est exclu du groupe. Terence Sullivan, qui s'est lié d'amitié avec lui, quitte le groupe lui aussi, par solidarité.

Au moment où cet incident se produit, John Tout est en pleine détresse, suite au décès de sa sœur. Il commence une dépression dont il mettra des années à se guérir. Il confiera beaucoup plus tard : <<Ma sœur est décédée et le chagrin m'a empêché de jouer au piano pendant 10 ans. Je faisais un blocage, je ne pouvais plus jouer. Elle était pianiste elle aussi et nous avions l'habitude de jouer ensemble.>> [Dave Owen, 1998].

 

La fin d'une époque

Pour Renaissance, le départ de John Tout et de Terence Sullivan marque la fin d'une époque, le démantèlement d'une équipe qui était restée remarquablement stable pendant huit ans, produisant quasiment chaque année un album d'envergure. Quelque chose s'est brisé en cette année 1980 et plus rien ne sera plus jamais comme avant.

 

Nevada

Après le départ de John Tout et de Terence Sullivan, Annie Haslam et Mike Dunford s'associent au claviériste Peter Gosling. Ne souhaitant pas utiliser le nom de Renaissance, le trio se baptise Nevada. Il enregistre un matériel qui suffirait à remplir un album. Mais deux 45 tours seulement sortiront, l'un en 1980, l'autre en 1981. Ils deviendront introuvables. Quant aux enregistrements, ils seront réputés avoir été détruits dans un accident domestique. Une aura de mystère entourera la production du trio. Mais en l'an 2000, à la surprise générale, un CD sortira, "Pictures in the Fire", qui reprendra dix titres de Nevada, y compris ceux parus en 45 tours (mais dans des versions différentes). Et la réalité apparaîtra au grand jour : la musique de Nevada n'a quasiment rien à voir avec celle de Renaissance. Il s'agit d'une collection de chansons pop sans envergure. Le jeu de Peter Gosling est à mille lieues du style classique de John Tout ou de John Hawken. En outre, la qualité sonore du CD est vraiment déplorable. Peut-être qu'effectivement les master tapes avaient été détruites et que le CD provient de médiocres copies.

 

Un changement radical

Les trois de Nevada sont ensuite rejoints par Jon Camp et le batteur Peter Barron et cette formation reprend le nom de Renaissance. "Camera Camera" sort en 1981 et "Time-Line" en 1983. A ce dernier collaborent en outre Eddie Hardin, du Spencer Davis Group, ainsi que plusieurs personnes dont le nom a souvent été associé à celui de Steve Hackett : Nick Magnus , Bimbo Acock, John Acock et Ian Mosley (ce dernier rejoindra d'ailleurs bientôt Marillion).

Si "Camera Camera" bénéficie encore de la collaboration de Betty Thatcher, ce n'est pas le cas de "Time-Line", pour lequel c'est Jon Camp qui rédige les paroles. Ce n'est pas une première pour lui puisque ses premiers textes étaient parus sur "Novella". Il contribue aussi aux compositions, aux côtés de Mike Dunford, et à la production.

Jon Camp semble avoir en ce début des années 80 une formidable emprise sur le groupe. Pour lui, la page des années 70 est définitivement tournée. Il confiera plus tard : <<Je sentais à cette époque que nous devions devenir un peu plus commerciaux. Nous essayions toujours de faire un nouveau "Northern Lights" et c'était notre voie car je pense que le groupe méritait plus de couverture par les médias qu'il n'en a eu en réalité. Certains trouvent "Camera Camera" et "Time-Line" géniaux, d'autres les détestent. Ce que je veux dire, c'est que le changement était radical.>> [Dave Owen, 1997].

En soi, les morceaux sont bien faits, efficaces, et bien produits. On y trouve même d'authentiques moments de grâce. Mais, effectivement, le changement est radical. L'orchestre est définitivement oublié et Renaissance s'essaie à différents styles, bien dans le ton de ces années encore marquées par le déferlement de la New Wave.

Pour promouvoir "Time-Line", Camp, Dunford et Haslam partent en tournée, avec un nouveau batteur, Gavin Harrison, et un nouveau claviériste, Mike Taylor. Mike Dunford y croit vraiment : <<La vie est un peu plus difficile en ce moment... Mais, au moins, nous faisons un très bon show. C'est beaucoup plus net sur scène. Nous sommes beaucoup plus rock que nous ne l'étions avant. Nous sommes tous convaincus que c'est ce qu'il faut. Notre show est fait d'un mélange de neuf et de vieux. Même quelqu'un qui ne nous aurait jamais vus avant devrait aimer cela. Notre show est très très fort maintenant, le plus fort que nous ayons jamais fait. C'est la meilleure formation possible, sans aucun doute. C'est très excitant.>> [David Gaines, 1983].

Les concerts, qui laissent la place belle aux classiques des années 70, ont tout pour plaire aux anciens fans. Par contre, ceux-ci ont bien du mal à reconnaître, dans les deux derniers albums, le groupe qu'ils ont aimé. Les ventes sont déplorables, d'autant que ni le grand public, ni les médias ne montrent le moindre intérêt. Renaissance a perdu son pari. Il n'y aura pas de nouveau "Northern Lights".

En 1985, Jon Camp abandonne. Sa rupture d'avec Mike Dunford et Annie Haslam restera irrémédiable, sans que l'on comprenne jamais vraiment bien pourquoi.

Des années plus tard, Annie Haslam et Mike Dunford renieront cette période de l'histoire du groupe. Annie Haslam confiera : <<Notre management et notre maison de disques faisaient pression sur nous pour que nous soyons plus commerciaux, surtout après le top 10 de "Northern Lights". Ce fut vraiment le tournant pour nous et, petit à petit, nous sommes partis dans la mauvaise direction. Il y avait de la mésentente dans le groupe parce que les changements étaient trop radicaux. De mon point de vue, ce fut le début de la fin pour le groupe.>> [Jaume Pujol, 2000].

 

Une formation acoustique

En 1985, une nouvelle mouture de Renaissance voit le jour, sans doute la plus méconnue de toutes. De nouveau, le changement de style est radical. Pour la première fois, il s'agit d'un formation complètement acoustique : Mike Dunford à la guitare, Annie Haslam au chant, Raphael Rudd au piano et à la harpe, Mark Lampariello (ou Lambert) à la basse et à la guitare, Charles Descarfino aux percussions. La guitare et la basse sont acoustiques et les percussions sont de celles que l'on emploie en musique classique. Sans synthétiseurs, sans instruments électriques mais aussi sans orchestre symphonique, Renaissance donne des concerts intimistes, dans une ambiance très différente de celle du début des années 80 mais vraiment très différente aussi de celle des années 70, même si les morceaux joués sont presque exclusivement ceux des années 70. L'album "Unplugged, Live at the Academy of Music, Philadelphia USA", qui ne sortira qu'en l'an 2000, sera le seul témoignage discographique de cette époque.

Cette formation ne trouve pas de contrat et ne produit aucun album en studio. Elle continue ses concerts, mais dans des salles de plus en plus petites, devant un public de plus en plus rare. Le groupe finit par devoir s'avouer que, pour des raisons économiques, il ne lui sera plus possible de continuer. Le 6 juin 1987, c'est le dernier concert. Annie Haslam témoigne : <<Quelqu'un dans la salle a crié : "Ne nous quittez pas" ou quelque chose comme ça. Je me suis mise à pleurer et, dans ces conditions, il n'est pas possible de chanter. C'était terrible, incroyable. [...] En regardant dans le public, on avait l'impression que certains étaient en larmes. [...] Comment travailler dans ces conditions ? C'était vraiment, vraiment triste.>> [Pete Fornatale 1988].

 

Silence

Nous sommes en 1987 et tout est fini. Renaissance aura eu son heure de gloire dans les années 70. Mais ce groupe anglais n'aura vraiment été reconnu que sur la côte Est des Etats-Unis et, plus tardivement, dans son propre pays. Si le reste du monde avait suivi, le nom de Renaissance aurait pu devenir aussi fameux, à l'époque, que ceux de Pink Floyd, de Genesis ou de Yes. Mais l'histoire en a décidé autrement. Et maintenant, en cette fin des années 80, Renaissance n'existe plus et il ne semble plus y avoir la moindre chance de retour car le monde de la musique a complètement changé. Le silence s'installe.

 

Un regain d'intérêt

Cependant, les années 90 apportent, petit à petit, un regain d'intérêt.

En 1990, la compilation "Tales of 1001 Nights", consacrée exclusivement à l'ère 1974-1979, sort aux Etats-Unis. C'est une des premières occasions de trouver Renaissance en format CD et les ventes sont assez bonnes. Ensuite, peu à peu, tous les albums originaux sont réédités en CD et se vendent assez bien eux aussi. A partir de 1997, on voit même sortir des albums inédits, parmi lesquels plusieurs albums live reprenant des concerts des années 70 ou 80 mais aussi "Songs From Renaissance Days", une compilation de titres enregistrés en studio, principalement dans les années 80, mais n'ayant pas trouvé leur place dans les albums.

Les années 90 sont aussi celles de l'explosion d'Internet. Le premier site consacré au groupe, A Song For All Seasons, est créé par David Gaines. Un peu plus tard, Joe Lynn et Russ Elliot lancent le site Northern Lights, qui deviendra la référence en la matière.

Pendant ce temps, Mike Dunford se consacre à un projet dont l'idée lui était venue dès 1975, l'année de l'album "Scheherazade and Other Stories" : créer une comédie musicale sur le thème des "Contes des 1001 Nuits". Il y travaillera de nombreuses années. Plusieurs auteurs y collaboreront, à commencer par Betty Thatcher. De son côté, Annie Haslam quitte son Angleterre natale pour s'installer dans le New Jersey, sur la côte Est des Etats-Unis, et se consacrer à sa carrière solo.

Le nom de Renaissance fait son apparition sur de nouveaux enregistrements : Annie Haslam sort en 1994 l'album "Blessing in Disguise" sous le nom d'Annie Haslam's Renaissance tandis que Mike Dunford, associé à la chanteuse Stephanie Adlington, sort en 1995 l'album "The Other Woman" sous le nom de Renaissance et en 1997 l'album "Ocean Gypsy" sous le nom de Michael Dunford's Renaissance. Cette utilisation du nom par les membres séparés semble confirmer que le groupe lui-même est bel et bien mort.

 

En lettres rouges

Pourtant, le 30 avril 1998, le site Northern Lights affiche en lettres rouges le communiqué suivant : <<Major Announcement! The dreams of many Renaissance fans are about to come true! Annie Haslam, Michael Dunford, John Tout, Terry Sullivan, and their very special guest Roy Wood have announced that they will be recording a new album in May! (...)>>. Ainsi, les quatre cinquièmes de l'équipe de "Scheherazade and Other Stories" sont réunis. Seul Jon Camp manque. Il est remplacé par Roy Wood, ancien compagnon d'Annie Haslam et fondateur des groupes Electric Light Orchestra, The Move et Wizzard. Le nouvel album est annoncé pour l'automne 1998.

Mais cette annonce fracassante est suivie d'une longue, très longue attente. En été 1998, on apprend que Roy Wood et John Tout ne sont plus disponibles et qu'ils sont remplacés par Alex Caird, bassiste, et Mickey Simmonds, claviériste ayant travaillé avec Mike Oldfield, Camel et Fish. A l'approche de l'été 1999, on apprend que l'enregistrement de l'album se termine. En réalité, le temps total consacré aux sessions n'a pas été très long, le problème ayant plutôt été de faire concorder les agendas. Et l'attente se poursuit, pendant que le groupe négocie avec des maisons de disques. Il faut encore attendre jusqu'à l'automne 2000 pour qu'enfin l'album, intitulé "Tuscany", sorte. Encore ne sort-il qu'au Japon. Et ce n'est qu'en automne 2001 qu'une édition européenne voit le jour - trois ans après la date initialement annoncée.

"Tuscany" est donc le premier album studio de Renaissance depuis 1983. Les textes sont, pour la première fois dans l'histoire du groupe, signés Annie Haslam. Quant à la musique, elle est entièrement composée par Mike Dunford. Le style est proche de celui que le groupe a développé dans les années 70. Il n'y a pas d'orchestre symphonique mais les techniques modernes permettent à Mickey Simmonds d'en recréer l'ambiance sur ses claviers. Un titre comme "Pearls of Wisdom", où s'établit un dialogue entre le piano de John Tout, le (faux) orchestre de Mickey Simmonds et la voix d'Annie Haslam, n'aurait pas fait mauvaise figure sur un album comme "Turn of the Cards". Et une série d'autres titres sont du même niveau. Mais ce qui manque, c'est une pièce maîtresse, un moment fort. Sur "Turn of the Cards" il y avait "Mother Russia"; sur "Tuscany", qu'y a-t-il ? Cet album démontre que le groupe est parfaitement capable, aujourd'hui, de faire du Renaissance, du vrai. Mais il apparaît comme l'album de la reprise de contact, sans plus.

 

Le grand retour

Pour promouvoir l'édition japonaise, Renaissance donne trois concerts au Japon en mars 2001. Juste avant ce périple, le groupe donne, le 9 mars 2001, à l'Astoria de Londres, son tout premier concert depuis 1987. Annie Haslam, Mike Dunford, Terence Sullivan et Mickey Simmonds sont rejoints par Rave Tesar, fidèle claviériste du propre groupe d'Annie Haslam, et David Keyes, bassiste ayant occasionnellement joué pour elle. C'est la première fois que Renaissance tourne avec deux claviéristes : Rave Tesar tient le rôle de pianiste tandis que Mickey Simmonds s'occupe des parties orchestrales.

L'Astoria, sans être complet, est bien rempli. Un frisson parcourt la salle lorsque les haut-parleurs diffusent une version instrumentale de "Prologue" : à ce moment, le groupe fait son apparition et entame un programme où alternent classiques et extraits de "Tuscany". Les six musiciens font merveille dans ces deux registres : ils rendent parfaitement justice aux classiques et donnent même un supplément d'énergie aux nouveaux titres. Le public, où l'on retrouve des gens venus de toute l'Europe et même des Etats-Unis pour assister à l'événement, ne s'y trompe pas : le groupe qui est devant lui est bien Renaissance, il n'y a aucun doute possible. L'intensité va crescendo lorsque viennent "A Trip to the Fair", puis surtout "Mother Russia", qui conclut l'acte principal. Mais le meilleur est encore à venir : le groupe revient pour un rappel et, comme à la grande époque, interprète une longue version d'"Ashes Are Burning", marquée par des prouesses dans les solos de basse et de claviers et dans les vocalises hallucinantes d'Annie Haslam. Ce concert-là, bien plus que le nouvel album, marque à n'en pas douter le véritable grand retour de Renaissance.

Jean-Luc Delcoux

renaissance@pengla.com

 

Remerciements

Cet historique du groupe doit énormément à d'autres, écrits avant lui : celui écrit en 1996 par Russ Elliot pour le site Northern Lights, celui écrit en 1989 par David Samuel Barr pour le livret de la compilation "Tales of 1001 Nights", celui écrit en 1995 par Chris Welch pour le livret de la compilation "Da Capo" et celui écrit en 1994 par Aymeric Leroy pour le magazine Big Bang.

Merci à tous ceux qui m'ont communiqué des documents ou des informations, en particulier Annie Haslam, Mike Dunford, The White Dove Organization, Grace McNally, le site Northern Lights, Joe Lynn, Russ Elliot, le magazine Big Bang, Aymeric Leroy, le fanzine Opening Out, Dave Owen, David Gaines et les fans de Renaissance dans le monde entier. Merci aussi à Gilles Snowcat et à Dominique Genin pour leurs explications musicologiques.

 

Citations

[Alison Steele, 1974] : Interview with Annie Haslam and John Tout with Alison Steele, September, 1974

[Alison Steele, 1977] : Interview with Annie Haslam and John Tout with Alison Steele, April, 1977 + Thirteen Musical Biographies: Renaissance, 1977

[Aymeric Leroy, 1994] : Interview with Jim McCarty, Spring, 1994 + Interview with Louis Cennamo, 1994

[Dave Owen, 1997] : Interview with Jon Camp by Dave Owen, Opening Out, November, 1997

[Dave Owen, 1998] : Interview with John Tout by Dave Owen, Opening Out, May, 1998

[David Gaines, 1983] : 1983 Concert Preview, April 1983

[Ed Sciaky, 1993] : Interview with Annie Haslam and Betty Thatcher-Newsinger on WYSP, June 1993

[Fred Migliore, 1992] : Interview with Annie Haslam on WFIT, November, 1992

[Jaume Pujol, 2000] : Interviews : Renaissance - Annie Haslam, May, 2000

[Pete Fornatale 1988] : Annie Haslam Interview on WNEW-FM, March 1988

Ces interviews sont reprises dans la section "Press Box" du site Northern Lights (www.enteract.com/~nlights/), sauf [Jaume Pujol, 2000], qui se trouve sur le site ProgVisions (www.galeon.com/progvisions).

 

Discographie

Cette discographie ne se veut pas une liste exhaustive de tout ce qui a été publié par Renaissance et par ses membres. Elle vise plus modestement à aider ceux qui souhaitent découvrir le groupe à s'y retrouver parmi les albums qui portent le nom de Renaissance ou de xxx's Renaissance. Une discographie détaillée se trouve sur le site Northern Lights (www.enteract.com/~nlights/).

(1) Renaissance, albums studio

(2) Renaissance, compilation d'inédits

(3) Renaissance, live

(4) Annie Haslam/ Annie Haslam's Renaissance

(5) Michael Dunford's Renaissance

(6) Renaissance, compilations "Best of"

Remarques diverses :