RENAISSANCE "Tuscany"

Anglais/ TOSHIBA-EMI Japon - TOCP 65591/ Novembre 2000

10 titres de 3mn20 à 7mn12/ temps total : 49mn25

 

Un nouvel album de Renaissance ! Qui l’eût espéré 17 ans après la sortie du dernier disque original "Time Line" ! Qui eût cru, que Renaissance, même reformé, et c’est là le point capital, puisse enregistrer un album complet, digne d’intérêt, suite à ce dernier album catastrophique de 1983 qui perdait l’essence même de ce qui avait fait la renommée du groupe, à savoir ce mélange subtil de classique et de folk.

Et bien, c’est aujourd’hui chose faite et de bonne augure en cette fin de siècle. ‘Tuscany’ marque un renouveau et grave une nouvelle étape dans l’histoire du groupe qui aborde ainsi sa quatrième décennie en bonne forme. Un miracle que nous devons en grande partie, à la quasi-résurrection de la chanteuse Annie Haslam.

Qui compose le groupe ? le duo Dunford et Haslam bien entendu mais aussi Terence Sullivan le batteur et John Tout le pianiste. Parmi les nouveaux arrivants, nous trouvons Mickey Simmonds aux claviers (qui est en passe de devenir le plus titré des musiciens de la scène progressive de par son jeune âge et ses participations avec Camel, Fish, Mike Oldfield, XII alfonso…) et deux invités : le vétéran et multi-instrumentiste Roy Wood dont le nom est lié à celui d’ELO (Electric Light Orchestra) et un bassiste peu connu Alex Caird (du groupe BOA) qui a remplacé Jon Camp, seul grand absent de la reformation.

L’histoire de ce groupe d’exception est aussi complexe que sa musique. C’est l’un des premiers (avec les Nice de Keith Emerson et le Procol Harum de Gary Brooker) à avoir incorporé avec brio la musique classique aussi bien dans les reprises que dans l’écriture et surtout à avoir apporté la douceur d’une voix féminine dans un univers jusqu’alors peuplé d’hommes. Et ‘Tuscany’ dans tout cela ?

Je mentirais en écrivant qu’il s’agit de l’Album de cette fin de siècle, ni même de l’année, et encore moins la meilleure réalisation de Renaissance. Non vraiment, rien de tout cela ! Et pourtant, le groupe égraine tous les ingrédients de sa créativité passée : la sensibilité féminine donnant à la musique rock une touche délicate, les légendaires breaks créateurs d’ambiances riches et généreuses, les touches délicates du piano classique, les envolées symphoniques et les compositions toujours aussi bien ficelées.

Tuscany débute joliment avec le titre "Lady from Tuscany"(6mn41). La voix de Annie Haslam est au rendez-vous, toujours aussi fraîche, haute et angélique. Dunford, comme à son habitude, donne le rythme et l'orientation mélodique à la guitare acoustique. Le piano fait son entrée et nous arrivons au premier refrain annoncé par la batterie. Puis une cascade de cassures de rythme annonçant avec finesse des ambiances diverses. Nous sommes dans le Renaissance classique des seventies. Nous y retrouvons des réminiscences de mélodies qui ont fait le succès du groupe comme "Black Flame" ou "Day of the Dreamer". Puis une excellente surprise avec le 2ème morceau, "Pearls of Wisdom" (4mn25), où le piano acoustique de John Tout, après une interruption de plus de 20 ans, fait une nouvelle fois merveille. L’album monte en puissance avec les 2 pièces suivantes, l’une courte "Eva’s Pound", petit joyau frêle de 3mn40 au piano et chant sorti tout droit d’un rêve d’amour sous une pluie légère et l‘autre de 5mn20 "Dear Landseer" qui se fait plus ambitieux, plus orchestré avec ces atmosphères russes chères à Dunford. Et puis 2 autres mélodies "In the Sunshine" et "In my Life", plaisantes, délicates dans le style de "Think of You" ou "Carpet of the Sun", c’est-à-dire des mélodies classiques bien construites n’excédant pas 6mn. Et là se situe la première fragilité du disque : nous sommes au milieu du CD et aucun long développement musical auquel Renaissance nous avait habitués, voire comblés, n’est apparu (et il en sera ainsi jusqu’à la fin du disque). Non pas que la qualité d’un morceau se ramène à son unique ‘longue’ durée même si cette donnée est une caractéristique importante du mouvement progressif. Mais pour Renaissance, c’est plutôt un désavantage car cela ne lui permet à aucun moment d’envisager les développements symphoniques et pianistiques qui font son originalité. Comment ne pas rêver et s’enthousiasmer sur "Sheherazade", "Can you Hear me" et son final "Sisters" tiré de ‘Novella’, ou encore "Ashes are Burning"(morceau qui était porté sur scène à 24 mn), "Mother Russia", "Running Hard" La liste est longue……

Mais que cela soit clair : je ne suis pas en train de tomber dans la nostalgie d’une époque révolue, ni de critiquer cet album ! Non bien au contraire, car aussi bizarre que cela paraisse, ce disque n’est pas un réchauffé avec des musiciens déprimés. ‘Tuscany’ est bel et bien un nouvel album avec de vraies compositions créées sur le mode classico-folk cher à Dunford (dont on oublie parfois quel grand mélodiste il est !). De ce côté là, rien à redire. Et l’ambiance du disque, toujours dans un excellent niveau mélodique, continue avec une accentuation plus marquée au niveau pop rock, que ce soit dans une ambiance rythmée "The Race" ou brésilienne revisitée par Annie dans "Life in Brazil".

Annie Haslam, pour la première fois depuis les débuts de Renaissance se place en leader et là sans doute se trouve la grande nouveauté. Elle a signé tous les textes du disque avec une sensibilité touchante. Nous sentons ici l’influence de son dernier CD solo ‘The Dawn of Ananda’, disque superbe et relatant son intérêt pour les anges. La musique s’en ressent donc directement par des morceaux plus courts aux accents angéliques, des voix évanescentes, et des nappes de violon toujours du meilleur goût dans "Dolphins Prayer" ou "Dear Landseer", deux superbes mélodies où nous retrouvons John Tout. Là encore, ça baigne.

Alors où se situe la ou plutôt les faiblesses de ‘Tuscany’ ? La petite déception vient d’un manque d’ambition, et de développement dans les compositions que nous sommes en droit d’attendre de Renaissance (voilà ce que c’est d’avoir été trop gâté dans le passé !). Le groupe n’arrive pas à retrouver tout à fait sa cohésion et son entente des années 70. Notons à cet effet que l’enregistrement a été émaillé au début d’une séparation choc : John Tout et Roy Wood à la basse ont quitté les répétitions. Et les remplaçants ont……..remplacé avec sérieux, professionnalisme, mais sans grand investissement.

L’absence de John Tout sur les trois quarts de l’album s’en ressent d’ailleurs fortement. Et ses quelques apparitions magiques au piano dans "Pearls of Wisdom" ou à l’harpsichord dans "Dear Landseer" laissent un goût amère tellement ce disque aurait pu renouer avec ces prédécesseurs et trouver sa place entre ‘Ashes are Burning’ pour les arrangements et ‘Turn of the Cards’ pour l’audace des parties piano (ces 2 albums étant au passage d’une qualité mélodique exceptionnelle). Mickey Simmonds, quant à lui, devenu du même coup titulaire des claviers, sans avoir la touche pianistique de John, s’en sort bien dans les arrangements orchestraux, un peu moins bien dans les séquences synthétiques qui donnent une teinte pop rock, et correctement, bien que sans grand relief, dans les passages de piano acoustique.

Le dernier morceau de l’album et le plus long (7mn12) "One Thousand Roses" laisse entrevoir à lui tout seul dans son final, l’aspect symphonique du grand Renaissance. Et je réalise seulement à la fin du disque toute l’importance de Jon Camp dans les arrangements classiques, dans son jeu de basse à la fois rythmique et solo, inventif, risqué, puissant et mélodique, et de son rôle bienfaisant sur la batterie de Terence Sullivan, ce que ne réussit pas à faire Alex Caird. Et pour cause : le Renaissance 2000 est un groupe de studio auquel il manque encore le contact de la scène, ce qui explique sans doute le côté un peu étroit des interprétations.

Après plusieurs écoutes néanmoins, la magie se crée, les mélodies s’installent confortablement et ‘Tuscany’ se fait plus cohérent tout en se bonifiant. Quant à savoir si le CD vaut l’investissement, la réponse est oui sans hésiter l’ombre d’une seconde. Oui d’abord pour les mélodies attrayantes, oui pour ceux désireux de découvrir les créateurs du classic-rock progressif, oui pour les amoureux des voix féminines anglo-saxonnes dont Annie Haslam est une des sinon la représentante la plus envoûtante, oui pour les fans qui n’ont pas suivi le groupe après 1978, et oui enfin et surtout pour encourager le groupe. ‘Tuscany’ (10ème disque original de Renaissance et 22ème pour l’ensemble de la discographie officielle) symbolise un véritable retour qui donne au mot Renaissance toute sa force et permet d’envisager de très beaux lendemains, surtout quand nous savons qu’Annie s’est sortie naturellement d’un grave cancer au début des années 90. Du succès de ‘Tuscany’ dépend sans aucun doute la motivation du groupe pour réaliser un nouvel album ambitieux, avec une production plus large et pourquoi pas le retour John Tout à temps complet et de Jon Camp avec une tournée en France. And the show should go on………..

Luc Marianni le 1-1-2001 à 0h01mn

Notons qu’au même moment se termine l’enregistrement du nouvel album (avec de superbes mélodies et textes pour en avoir écouté une démo) de James Mc Carty, fondateur du premier Renaissance, sous le nom de "James Mc Carty with the original Renaissance", avec les musiciens originaux John Hawken, Louis Cennamo et la charmante Jane Relf, 22 ans après la séparation du groupe Illusion. Que de bonnes nouvelles !